Est-il imaginable que la psychanalyse soit demeurée indemne du désastre engendré par le nazisme ? Outre l’émigration d’Est en Ouest de ses foyers vivants et la profonde modification du milieu d’origine de cette pensée et de cette pratique, l’atteinte provoquée par l’implacable bouleversement du socle culturel et langagier sur lequel reposait la théorie psychanalytique donne lieu tout d’abord à l’émergence d’une lutte pied à pied contre les fondements biologiques de l’identité et la « naturalité » de la race et du sol prôné par le nazisme. Puis, cette lutte laisse la place à un mouvement qui associe progressivement l’humanisation de la méthode, l’inter-subjectivisme et la co-narrativité. Prenant pour voie d’entrée l’« indicible trauma », la réflexion analytique se penche dès lors majoritairement sur la pathologie des victimes. L’apparition de l’Ego Psychology, le retour au modèle traumatique (validé par la matérialité des faits historiques), l’omission du « délire de masse » tel que Freud et les analystes de l’immédiat-après-guerre l’envisageaient : les psychanalystes ont-ils pris la pleine mesure de la désorientation, clinique et théorique, infligée à leur propre champ par le déchaînement nazi ? Historienne et helléniste avant de devenir psychanalyste, Laurence Kahn est membre titulaire et formateur de l’Association psychanalytique de France. Elle a été corédactrice de la Nouvelle Revue de Psychanalyse de 1990 à 1994 et du Fait de l’analyse de 1996 à 2000, ainsi que directeur de publication de L’Annuel de l’APF de 2010 à 2015. Elle a occupé les fonctions de président de l’Association psychanalytique de France de 2008 à 2010. Elle partage son temps entre les patients, la formation et l’écriture. |